Le Pont Valentré en péril – Tribune libre
A le voir fièrement campé au-dessus des eaux languides du Lot, qui pourrait penser que notre Pont Valentré est en péril ? Ces trois tours paraissent inébranlables, tout comme ses arches enjambant la rivière avec cette élégance issue des bâtisseurs de jadis.
Et le diable, sculpté sur l’une des pierres angulaires de la tour centrale, demeure farouchement agrippé comme le meilleur rempart face à l’épreuve inexorable du temps.
C’est oublier un peu vite que ce pont, construit avant même que la Guerre de Cent-Ans n’ébranle la Guyenne et le Quercy, a connu bien des vicissitudes. Son édification fut tellement laborieuse qu’il fallut, selon la légende, l’intervention de l’incarnation du mal pour que le chantier connaisse enfin une issue.
Le diable négocia auprès de l’architecte en charge de l’édifice les âmes des ouvriers épuisés à façonner l’ouvrage contre un point final à une entreprise qui n’en finissait pas. On dit à Cahors que le Malin fut capot et que le maître d’œuvre roula dans la farine Satan, lequel pour se venger, dès la nuit tombée, tenterait de desceller une à une les pierres du vénérable pont. Naturellement, les esprits cartésiens ne croient pas un traître mot de cette histoire, cependant force est de constater, en ce début de XXIème siècle, que le diable exerce, encore et toujours, sa funeste influence.
Le Pont, que l’on dit si altier, si beau, s’atrophie, s’altère insidieusement, s’abîme, et affiche désormais des signes très inquiétants de fragilité.
De l’eau a coulé sous le Pont Valentré ! Et de ces eaux parfois furieuses au gré des crues du Lot, les avant-becs des piles ont souffert des embâcles. Et que dire des machicoulis dont l’un d’entre eux s’est détaché récemment sans faire fort heureusement de victime.
La pierre du Quercy dont le visiteur est séduit par sa blondeur accuse avec le temps une friabilité à laquelle il faut vite parer. Les créneaux, passages voutés, parapets et autres escaliers extérieurs imposent une mise en sécurité toutes affaires cessantes. Sans oublier les toitures en lauzes des trois tours. En effet, le gel les a réduites en éclats de pierre et, sans la présence de filets, nombre d’entre-elles pourraient décapiter l’un des 230 000 visiteurs que compte chaque année le « Pont du Diable ».
Situé sur les Chemins de Saint-Jacques de Compostelle, celui qui reste l’un des plus beaux médiévaux d’Europe exige à présent, non que le diable se penche à son chevet, mais davantage de bonnes fées, aussi bienveillantes que vaillantes, soucieuses de le consolider, de le restaurer et de le parer de ses atouts d’origine, même si sa restauration au XIXème siècle en avait modifié quelques aspects sans en changer la nature.
Car le Pont Valentré reste l’emblème de Cahors mais aussi de l’Occitanie. Contrairement au Pont d’Avignon, aucune crue, pas même celle de 1866, n’a ébranlé notre pont. Faut-il y voir un signe de Dieu et non du diable ? Toujours est-il qu’il convient, sans plus tarder, de sauver ce monument qui est, à lui seul, une prouesse architecturale. Notre devoir, pour ne pas dire notre mission pour parodier Stéphane Bern, c’est de transmettre aux générations futures un héritage unique qui a su transcender l’intelligence humaine et que l’on se doit de choyer comme œuvre impérissable pour des siècles et des siècles !…
Texte : Jean-Pierre Alaux
Ecrivain – Délégué territorial – Fondation du Patrimoine Lot
Dessins : Jean-Michel Quesne –
Scénographe – Délégué thématique – Fondation du Patrimoine Lot